Pacifique : de la médecine au Shiatsu
avec la Dr Karine Favresse 

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Dr Karine Favresse

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Interview avec Karine Favresse

Par Marie Cruysmans

Ceci est une interview peu banale, puisque j’ai eu la chance d’interviewer Karine Favresse alors qu’elle voyage dans les îles les plus reculées d’Asie du Sud-Est, au large de la Nouvelle Calédonie, à bord du Skybird, son catamaran à voiles. Une escale de quelques jours sur la terre ferme pour ravitailler l’équipage nous a donné l’occasion de nous pencher sur les grands thèmes qui tissent son existence : sa passion pour le voyage, la beauté du monde et de la nature, les rencontres authentiques et le soin à l’autre à travers ses pratiques de médecin et de shiatsushi.
Karine Favresse est ce qu’on peut appeler une femme pleine de ressources. Passionnée depuis toujours par le yoga, la phytothérapie, la nutrition et l’aïkido, elle étudie d’abord la médecine générale puis l’homéopathie qu’elle exercera pendant près de 25 ans. Après ses études, elle est attirée par le Shiatsu parce qu’il fait le lien entre médecine occidentale et orientale. Elle se forme auprès de Maître Ohashi en septembre 2000 et obtient son diplôme au Ohashi Institute de New-York. Maître Ohashi l’encourage alors à enseigner sa technique en Belgique, ce qui l’amène à fonder l’École de Louvranges. Elle y enseignera le Shiatsu et en assurera la direction pendant plus de quinze ans, avant de prendre sa retraite et de mettre les voiles sur de nouveaux horizons.

Marie Cruysmans : Merci de m’accorder cette interview Karine, depuis les mers du bout du monde. J’avais envie de commencer par une question toute simple. Après cette carrière alliant la médecine occidentale à l’art du shiatsu, comment en êtes-vous arrivée à prendre le large ? 

Karine Favresse : Mon mari et moi étions arrivés à un point de notre vie où nous avions décidé de vivre différemment, de tenter l’expérience de l’Aventure, à la recherche de plus de connexion avec la nature, la beauté et l’immensité du monde. Une vie où nous pourrions juste nous laisser vivre et donner ce que nous avions à donner. Nous avons embarqué pour un projet de navigation pendant dix ans dans le Pacifique. 

MC : Quand on se laisse porter par les eaux comme vous le faites, qu’est-ce qui vous guide finalement ?

KF : …on va où le vent nous porte. On adore la beauté de la nature, on se nourrit beaucoup de la beauté qui nous entoure, c’est elle qu’on recherche, et la profondeur des mers aussi, car nous sommes plongeurs. Et puis, il y a aussi les personnes qui nous accueillent dans ces lieux reculés. On va à leur rencontre, on essaye d’apprendre d’eux. On adore comprendre comment les civilisations insulaires vivent en autonomie et interagissent avec le monde et la nature qui les environne. Ils ont beaucoup à nous apprendre…

MC : Ces rencontres vous nourrissent énormément, qu’apportez-vous de votre côté aux personnes que vous rencontrez ? 

KF : Quand j’aborde un nouveau village ou une nouvelle île, c’est naturel que les gens demandent quel est mon métier. Parfois, ils ont déjà entendu parler de moi par leurs voisins. C’est vrai que tu es docteur ? Bienvenue Docteur Karine ! 

Quand je vois que quelqu’un a mal, je ne peux pas m’empêcher de vouloir l’aider. Je vois les souffrances, je propose ou on me demande mon aide, cela dépend des circonstances. C’est très facile, avec les gens locaux, les maisons sont vides, on est tout de suite à l’essentiel : il ne faut pas bouger les meubles, le lieu est là, la personne s’allonge et je peux alors la soigner.
Ces hommes et ces femmes qui vivent éloignés de notre civilisation se connaissent bien. Ils sont tout à fait reliés à leur essence parce qu’ils ne sont pas distraits de l’essentiel, et donc moi aussi je suis très vite connectée à cela. Je les soigne, puis leur partage quelques conseils, pour qu’ils soient autonomes. En tant que médecin homéopathe, j’évite la surmédication, je leur suggère plutôt de se soigner avec les plantes locales dont j’ai acquis une certaine connaissance. J’ai toujours essayé de rendre les gens responsables de leur santé, j’essaye de leur donner des moyens de l’être. Ma connaissance et ma pratique du Shiatsu me permettent aussi de leur donner des exercices qui conviennent à chacun. Pourquoi je distribuerais des médicaments ? Très vite ils tomberaient à court. Je préfère les éduquer, trouver des moyens locaux que j’ai découverts pour les aider, leur montrer quelques points, parler des causes de leurs problèmes. Je les touche, ils me touchent. C’est cœur à cœur, directement, sans protocole.

Crédit photo (C) Dr Karine Favresse 2022

MC : Est-ce facile de nouer le contact quand on vient d’horizons si différents, qu’on ne partage pas la même culture et qu’on ne parle pas la même langue ? Comment faites-vous pour créer ce lien de cœur à cœur ? 

KF : Nous allons à la rencontre de populations reculées, qui vivent sur des îles où la nature est restée intacte. Quand on va dans ces endroits, on part avec de la nourriture sèche, impérissable, et les villageois nous fournissent des fruits et des légumes en échange de soins par exemple. Ces gens sont très ouverts et très accueillants. Tout cela se fait naturellement, chacun selon ses besoins et sans avoir à utiliser les mots. 

Une fois, on est venu me chercher : Mon père a très très mal, est-ce que que tu peux venir ? Cet homme était atteint d’une forme très grave de goutte, il avait besoin de médicaments. Comme ils étaient méfiants par rapport à la médecine occidentale, j’ai commencé en douceur, avec le Shiatsu et l’homéopathie. Je revenais tous les jours pour ses soins, jusqu’à ce qu’il me dise : Tu m’as montré que je pouvais te faire confiance, maintenant je vais prendre “la magie de ton pays”.

MC : Si je comprends bien, la relation s’établit progressivement… 

KF : Exactement ! Ils préfèrent toujours avoir d’abord recours à leur médecine traditionnelle, mais acceptent, quand le lien est créé, d’avoir recours à d’autres approches, à ce que je peux leur prodiguer par mes soins Shiatsu, mes conseils ou mes remèdes homéopathiques. Je me souviens d’une dame qui avait été prise d’une très forte diarrhée. J’avais pris le temps de lui rappeler certaines règles en matière d’hygiène alimentaire, de lui donner des conseils d’alimentation. Quand je suis retournée lui rendre visite un mois après mon premier passage, elle était tout à fait remise. Elle m’a expliqué que son mal était passé parce qu’elle avait demandé à quelqu’un de prier pour elle. Elle avait préféré utiliser son moyen à elle.

Crédit photo (C) Dr Karine Favresse 2022

MC : Avez-vous pu intégrer des éléments de leur sagesse traditionnelle à votre propre pratique ?

KF : Je m’intéresse énormément à leur phytothérapie traditionnelle. Ces peuples ont une connaissance extraordinaire des plantes locales et des principes actifs naturels qui leur permettent de prévenir, soulager ou guérir d’une maladie. Mais le problème c’est que cette immense sagesse ne se transmet qu’oralement. 

MC : Ces connaissances qui ne sont pas écrites finiront un jour par se perdre…

KF : C’est pourquoi j’essaye de collecter, noter et retranscrire tout ce que j’apprends là-bas… 

Je suis en train d’écrire un livre qui s’appellera “Vivre et guérir, inspiré par les cinq éléments”. J’y mets ma compréhension des cinq éléments, de comment ils interagissent entre eux et en nous pour garder notre équilibre de santé. J’y mets aussi tout ce que j’ai accumulé comme connaissance pour cultiver le Qi avec une meilleure alimentation, des remèdes, des changements de vie, de la méditation, des exercices physiques et des conseils de vie. 

Crédit photo (C) Dr Karine Favresse 2022

MC : Cela rejoint ce que vous m’avez dit en préparant cette interview, à quel point c’était important pour vous d’apporter une aide durable…

KF : C’est ce qui anime ce projet et enracine mon travail. Il n’y a pas de place sur ces îles reculées pour une médecine moderne médicamenteuse ou high tech, alors je m’adapte aux gens que je rencontre et au contexte dans lequel je travaille. Ces personnes que je rencontre sont très connectées aux éléments : elles dorment souvent à même le sol, sont toujours entre le ciel, la terre et l’eau, connectés avec la nature, avec eux-mêmes et avec les autres, tout à fait interdépendants, seuls ils ne savent pas survivre. 

Crédit photo (C) Dr Karine Favresse 2022

MC : Vous avez utilisé un néologisme un peu plus tôt avant l’interview qui est très bien vu : « anthroposhiatsu ». Cela veut-il dire que si tous les êtres humains ont tous deux bras, deux jambes et une tête, la pratique du Shiatsu montrerait qu’ils seraient tous différents ?

KF : Oui, toute pratique holistique montre l’univers de chaque être humain. Mon idée d’anthroposhiatsu, dont j’ai envie de garder la propriété, est que en faisant du shiatsu, je fais de l’anthropologie. C’est à dire que je rencontre des êtres humains mais aussi leurs visions de la santé qui est culturelle. 

MC : Juste pour nous donner une idée, quelles sont les pathologies que vous rencontrez le plus fréquemment ?

KF : La pathologie la plus fréquente au Fiji est le diabète et des complications : infections, perte de vision. Je peux donner des conseils nutritionnels à ces gens et leur montrer quelques points mais le Shiatsu ne leur suffira jamais. Ensuite les douleurs articulaires des genoux et les lombalgies suite à l’activité physique intense, le travail agricole, la pêche. Ou même parfois suite au rugby, parce aux Fiji les hommes y jouent tous les soirs dans les villages.
Le Shiatsu est formidable pour eux et je donne parfois des cours collectifs dans la salle commune.
J’ai aussi soulagé des gens en état de choc après le passage d’un cyclone.
J’associe parfois de l’homéopathie à mes traitements, quand les gens sont très malades.
Une pathologie assez fréquente est l’abcès cutané. Pour les guérir, il faut d’autres moyens que le Shiatsu mais notre outil peut donner des pistes pour la prévention.
MC : Merci Karine Favresse de nous avoir partagé votre expérience. Merci d’emmener le Shiatsu de par les mers et de le faire voyager au bout du monde, d’en faire bénéficier celles et ceux qui en ont besoin.  

Crédit photo (C) Dr Karine Favresse 2022